Il y a quelques mois Léa Barone, étudiante en Master Management de la Communication, m’a contactée pour réaliser une interview dans le cadre de son mémoire posant la question : Peut-on concilier emballage écologique et préservation de l’image de marque ?
C’est avec plaisir que j’ai répondu à sa requête, ravie d’apporter ma pierre à l’édifice de cette réflexion fascinante et d’actualité.
Si je ne peux pas dévoiler le contenu complet de ce mémoire, je peux en revanche vous partager les réponses à ses questions.
Léa Barone : Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre métier ?
Florence Simonne : Je m’appelle Florence SIMONNE et je suis Directrice Artistique et Graphiste.
Mon parcours professionnel a démarré par un BAC option Arts Plastiques puis études supérieures en Art Appliqué dans une école privée de graphisme, cursus de 4 ans. J’ai ensuite obtenu un diplôme de Concepteur Designer Graphique en 2013. Ensuite, j’ai eu plusieurs petites expériences de free-lance, puis je suis revenue au salariat dans plusieurs entreprises en tant que DA et graphiste dans les services rattachés au marketing. J’ai travaillé principalement dans les secteurs de la cosmétique, de l’alimentaire, et éditeur de logiciel et conseil.
Depuis novembre 2022, je suis de nouveau en en free-lance et je démarche mes propres clients. J’ai des missions variées avec notamment du design web, de l’identité visuelle et du packaging.
L.B. : J’ai pu voir vos réalisations de packaging ; est-ce que vos clients souhaitaient un packaging éco-conçu ?
F.S. : D’un point de vue général, il y a quelques années, l’éco responsabilité n’était pas vraiment un sujet, on ne réfléchissait pas le packaging en terme d’impact sauf, au minimum, on indiquait s’il était recyclable mais pas plus. On ne s’en souciait pas dès la conception, même dans les secteurs proposant des produits bio aux composants naturels. Il n’y avait pas de réflexion globale à ce sujet en entreprise. Depuis peu, les consommateurs ont des attentes là-dessus et cherchent des produits à faible impact environnemental, ce qui incite les marques à travailler sur ce sujet pour rester compétitives.
J’ai eu un client récemment, la marque de compléments alimentaires Flore (projet porté par Symrise Group), qui avait la volonté, dans ses produits et ses valeurs, d’avoir un impact positif sur l’environnement. Ainsi, lorsque j’ai été mandatée pour réaliser leur packaging, le choix s’est porté sur du papier en provenance de forêts éco-gérées (ce qui me semblait être le minium pour assurer une cohérence avec les valeurs de la marque). Mais nous avons été limités, en termes de faisabilité notamment, d’en faire plus car le produit était en phase de test. Ainsi la marque souhaitait réaliser très peu de volume dans un premier temps, sauf que les coûts augmentent pour des petites quantités voire certains prestataires refusent d’imprimer le packaging pour de petits volumes.
Au niveau du design, j’ai créé un univers qui est propre à la marque, et le brief était de ne pas proposer un packaging extravagant aux couleurs criardes, avec un film plastique mais plutôt quelque chose d’assez simple et neutre, même si la volonté n’était pas forcément d’avoir un impact pour ce premier projet avec cette marque naissante.
L.B : Avez-vous des conseils pour produire un emballage éco-conçu ?
F.S : De mon côté, j’ai plutôt une expertise au niveau du design et je m’appuie sur des experts de packaging (des cartonniers par exemple) selon le projet du client. Ensuite je travaille en tripartite avec l’expert et mon client, de manière à ce que la vision client remonte et soit claire pour l’expert et moi-même. Il y a la vision du graphiste pour le design afin d’apporter les idées créatives pour répondre au projet, et il y a l’expertise du partenaire spéciliste en emballage qui écoute, indique ce qui est faisable et fait ses recommandations sur les matériaux, le type d’impression, etc.
Aux niveaux des conseils que j’apporte à mes clients c’est d’avoir le moins d’encre possible, même s’il s’agit d’une encre végétale selon les encres cela a toujours un impact sur l’environnement (notamment lors du recyclage, car il faut blanchir un document qui comporte des encres pour pouvoir le réutiliser, ce qui nécessite des ressources).
On peut remplacer l’encre par du gaufrage qui donne un joli volume au papier ce qui facilitera le recyclage.
Il est important de choisir des matériaux avec un cycle de vie qui a le moins d’impact possible (de la fabrication au recyclage), avoir une réflexion du cycle de vie du packaging dans son ensemble et penser au recyclage ; si l’on souhaite que l’emballage soit réutilisé ou puisse être facilement recyclé.
Aussi, je remarque qu’au moment d’imprimer en amalgame les packagings chez l’imprimeur, il y a toujours des pertes de papier sur les plaques, il faudrait arriver à combler ces trous pour en perdre le moins possible.
L.B : Comment renvoyer l’image de marque souhaitée en changeant de packaging ? Faut-il y aller par étape pour habituer le consommateur ?
F.S : Cela dépend du domaine et de l’image de marque que l’entreprise a déjà.
Si une marque connue pour son manque de conscience environnementale communique soudainement et beaucoup sur des emballages éco-conçus, elle sera accusée de greenwashing.
L’emballage est un sujet majeur, mais il doit être le reflet d’une cohérence globale de la marque, que ce soit dans les produits qu’elle vend, les moyens de transports utilisés, etc.
Mais pour une marque qui a mis en place une stratégie environnementale, l’éco-conception de ses packagings lui permet d’être cohérente et en accord avec les valeurs qu’elle défend. Cela lui apporté énormément de crédibilité et évidemment cela renforce la confiance des consommateurs dans cette marque.
Et, à un niveau supérieur, le consommateur peut avoir un sentiment d’appartenance en utilisant les produits ou services de la marque, il véhicule ses propres valeurs à travers sa consommation.
Je pense qu’aujourd’hui, les consommateurs sont non seulement habitués aux démarches éco-responsables des marques, mais ils sont aussi en demande de ça.
Donc, comme mon point précédent, si la démarche d’éco-conception est cohérente avec les valeurs de la marque, alors je pense que ci peut y aller à fond. Si au contraire, la marque est réputée peu soucieuse des enjeux climatiques, alors elle devra effectuer des changements plus profonds (sourcing produit, transport, impact social, etc.) avant de travailler sur l’éco-conception.
L.B : Dans un projet de transition de packaging, est-ce que des éléments doivent être repensés (messages, type d’impression, couleurs, pictogrammes, etc) ?
F.S : Pour moi, pour être dans une démarche éco responsable, on ne peut pas simplement garder le même packaging et juste y apposer un pictogramme de recyclage. Il faut repenser le packaging dans son entièreté en restant évidemment en cohérence avec l’identité de marque. Le logo, certains éléments graphiques devront être gardés pour assurer une cohérence avec le branding, mais ils peuvent aussi être repensés et réadaptés pour être dans une logique d’éco-conception. C’est là que les créativité des designers est intéressante car, en ayant bien compris la marque et ses valeurs, nous pouvons réadapter les éléments de branding avec les contraintes d’éco-responsabilité ou autre.
L.B : Pour vous, y’a-t-il des secteurs d’activité (agroalimentaire, cosmétique, automobile, etc) plus « en avance » que d’autres sur les questions de communication écoresponsable ?
F.S : Pour moi, c’est le secteur du luxe qui est le plus en avance car les marques ont les moyens financiers d’investir, mais aussi ils ont la notoriété qui leur permet de faire des tests de nouveaux projets éco responsables tout en sachant qu’ils seront toujours connus du public.
Aussi, ils sont toujours scrutés et sont sous le feu des critiques en terme d’impact environnemental (notamment dans leurs moyens de production et sont souvent dans la surconsommation avec la sortie régulière de nouveautés). Ainsi les marques de luxe se doivent de changer leurs pratiques notamment pour leur image car elles sont souvent prises pour exemple, mais aussi pour séduire de nouveaux clients plus jeunes qui sont plus au courant et des impacts environnementaux et ont des attentes envers les marques.
A l’intérieur du secteur, des domaines plus précis proposent des innovations éco responsables intéressantes notamment dans les cosmétiques qui font beaucoup de recherches sur le sourcing des produits comme Chanel ou Guerlain : ces marques travaillent beaucoup la qualité de leurs ingrédients mais aussi de plus en plus sur l’impact social dans la production de leurs matières premières. L’impact social est aussi très important dans une démarche d’écoresponsabilité globale.
Au niveau du packaging, l’exemple de Dior et la crème anti-âge est génial : la marque a réfléchi pour trouver un système de recharge de leurs pots, qui peut être compliqué à trouver notamment avec les questions strictes d’hygiène du secteur. La marque propose des recharges sous forme de capsules (un peu comme celles du café) et cela permet de limiter la production des pots de crème tout en garantissant une bonne hygiène des recharges. (cf. Le comité Colbert qui regroupe plusieurs innovations luxe écoresponsable).
Aussi, le domaine des vins et spiritueux font beaucoup de recherche pour rendre leurs packagings éco responsables comme par exemple la Maison Ruinart qui a réussi à remplacer ces habituels coffrets pour ses bouteilles par un écrin en papier recyclé gaufré qui enveloppe chacune des bouteilles et est fermée par un poinçon avec le R de Ruinart.
Le rendu est magnifique et la marque a réussi le challenge de rester dans quelque chose de beau, d’esthétique et qui couvre bien, en étant plus éco responsable.
Le domaine de la mode (toujours dans le luxe) fait aussi beaucoup de créations avec de nouveaux matériaux comme Christian Dior Couture qui a créé des vêtements à partir plastiques récupérés dans les océans, en s’associant à Parley for the Ocean.
De façon globale, le sujet de l’éco responsabilité est présent dans tous les domaines et toutes les marques sont obligées d’avoir une réflexion pour répondre aux attentes des consommateurs qui sont de plus en plus préoccupés par l’environnement.